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lundi 12 mars 2018

Le Haut Moyen Âge (476-987) - Troisième partie : les Carolingiens

Pour lire la deuxième partie du chapitre, cliquez ici.
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C) La dynastie des Carolingiens (VIII°-X° siècle)

Les « Carolingiens » désignent les Pippinides gouvernant le royaume des Francs après les Mérovingiens. Le terme « carolingien » provient de Charlemagne (Carolus Magnus, littéralement Charles le Grand en latin), roi puis empereur célèbre dans l’histoire de France.


1) Charlemagne, roi des Francs (768-800) puis empereur d’Occident (800-814)

Partagé en 768, le royaume est réunifié après la mort de Carloman, sous le règne de Charles. Il poursuit alors la politique territoriale de son père. Il conquiert aisément la Lombardie en 774. Il soumet la Saxe en 779, puis les Bavarois en 787.

Il est couronné empereur d’Occident par le pape Léon III le 25 décembre 800 (le jour de Noël), à Rome. Charles le Grand se retrouve à la tête d’un empire immense, romanisé et catholicisé, s’étendant de la Gaule à la Germanie (au nord), et jusqu’à l’Italie (au sud). Cet empire est évidemment bien hétérogène. Par exemple, les langues divergent selon les régions : on retrouve des langues romanes en Francie ou en Septimanie et des langues germaniques en Saxe ou en Bavière. Les coutumes ne sont pas les mêmes : les Aquitains ont tendance à se révolter fréquemment et les Francs les méprisent.
Il faut donc décentraliser l’empire. Dans ce but, Charlemagne nomme des gouverneurs au sein de sa famille. Son fils Louis est par ailleurs roi d’Aquitaine. Celui-ci dispose, tout comme son père, d’une cour et d’un palais. Il est cependant étroitement surveillé par Charlemagne.
C’est sous le règne de Charlemagne où des réformes importantes sont décidées : c’est ce qu’on appelle la « renaissance carolingienne ».
-Sur le plan militaire, tous les hommes libres doivent participer au combat. Le service militaire d’ost est établi durant cette période. Il est censé durer entre 3 et 6 mois par an.

-Sur le plan économique, les prix sont plus régulés et les marchés locaux sont plus encadrés. Le capitulaire de Nimègue, promulgué en 806, définit le juste prix. L’usure (prêt à intérêts) est désormais interdite. Il prévoit en outre un contrôle des poids et des mesures. En 794, un nouveau système monétaire se met en place : une livre, dont le poids est porté à 400 grammes, correspond à 20 sous – un sou équivalant à 12 deniers – et donc à 240 deniers. La circulation des biens est désormais contrôlée. Par exemple, en 800, Charlemagne décrète notamment que les tenanciers des domaines royaux (les personnes jouissant temporairement des terres du roi) ne peuvent aller vendre au marché. A partir de 802, la vente nocturne des vases précieux, des chevaux et des esclaves est interdite.

-Sur le plan religieux, l’Eglise est hiérarchisée dès cette période. Les archevêques ou évêques métropolitains réaffirment leur autorité sur les autres évêques. Ces derniers doivent désormais subdiviser leurs diocèses en archiprêtré ou en archidiaconé. Sous l’impulsion de Benoît d’Aniane (750-821), les moines pratiquent la règle bénédictine[1].

-Sur le plan intellectuel, Alcuin (730-804), ami et conseiller de Charlemagne, réforme l’enseignement et anime l’Académie palatine à Aix-la-Chapelle – capitale de l’empire à partir de 807 – un cercle de lettrés groupant les intellectuels du royaume ; elle forme par la suite ses propres élèves.

L’Admonitio Generalis en 789 met en place une école dans chaque diocèse et dans chaque monastère. Dans l’article 80, Charlemagne recommande l’usage du chant grégorien. A la fin du VIII° siècle, les campagnes se voient doter d’écoles et dès 803 la scolarisation devient obligatoire. Selon Théodulf (755-820), le trivium devient la base de l’enseignement : ce cursus comprend la grammaire, la rhétorique (science du discours) et la dialectique (art du dialogue et de la discussion). Aux côtés du trivium se trouve le quadrivium. Ce cursus, équivalant à l’enseignement supérieur, comprend l’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astrologie.

Enfin, Charlemagne impose une nouvelle forme d’écriture dite « la minuscule caroline », plus lisible et plus facile à tracer que l’ancienne écriture. Des ateliers d’écritures, scriptoria, sont implantés dans les monastères. Des moines y copient notamment des textes anciens ou contemporains. Ces ateliers sont plus actifs en Bourgogne et en Loire.

A la mort de Charlemagne en 814, Louis le Pieux hérite de l’empire franc. Il poursuit les réformes de son père dans tous les domaines. Par exemple, dans le domaine économique, les ventes se font obligatoirement sur les marchés publics dès 820 et les marchands d’Aix sont protégés à partir de 828. Sous son règne, les résultats des réformes entreprises par Charlemagne apparaissent : les auteurs antiques sont à nouveau découverts, le nombre de lettrés augmente et les bibliothèques réapparaissent. On y trouve divers ouvrages : la Bible, la musique, la géographie, la grammaire, la poésie, etc.


2) Vers un nouveau partage du royaume

Louis le Pieux prévoit déjà en 817 un partage patrimonial de l’empire entre ses fils dans l’Ordinatio Imperii : Lothaire, l’aîné, devrait recevoir la Neustrie, l’Austrasie, la Provence et la Lombardie. Louis aurait la Bavière et Pépin l’Aquitaine. Ces deux derniers devraient être des rois soumis à leur frère aîné, le futur unique empereur.

Ce partage rompt avec les coutumes germaniques, ce qui aboutit à une révolte en Italie, mené par Bernard, le neveu de Louis le Pieux. La répression est sanglante, Bernard est d’abord condamné à mort. Finalement l’empereur le gracie et lui crève les yeux, le conduisant malgré tout à sa mort deux jours plus tard. Louis fait aussitôt tondre les fils illégitimes de Charlemagne avant de les envoyer au monastère. En 822, il fléchit, les rappelle et s’humilie publiquement en faisant pénitence à Attigny.

L’épouse de Louis le Pieux, Ermengarde de Hesbaye, meurt en 818. Le souverain se remarie avec Judith de Bavière. De cette union naît un fils Charles. Louis doit préparer un nouveau partage entre ses fils.
A l’assemblée de Worms tenue en 829, le souverain accorderait des territoires à Charles. Lothaire est envoyé en Italie et le personnel du palais est remplacé par des partisans de Judith. Les autres frères se révoltent, chassent Judith et ses partisans. Lothaire s’empare alors du pouvoir. Son père s’exile en Germanie. A l’issue de l’assemblée de Nimègue en 830, Lothaire se voit officiellement conserver les territoires de l’Italie.

En 833, Lothaire forme une coalition avec ses frères Pépin et Louis, soutenue par le pape. Les fidèles de Louis le Pieux l’abandonnent au fur et à mesure vers Troyes : c’est le « Champ du Mensonge ». Charles est de nouveau envoyé dans un monastère. L’empereur est contraint d’effectuer une pénitence publique, aboutissant à sa déposition. Lothaire devient le nouvel empereur. La guerre civile reprend entre les frères. Lothaire est finalement vaincu et Louis le Pieux reprend le trône en 835.
L’un de ses fils, Pépin, meurt en 838. L’empereur meurt peu après en 840.
Lothaire s’empare d’Aix-la-Chapelle avant de se proclamer empereur. Charles et Louis le Germanique s’allient contre lui. A Strasbourg en 842, ils prêtent le célèbre serment : Louis prononce son serment en langue romane :

« Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit[2]. »

A son tour, Charles promet en langue germanique :

« In Godes minna ind in thes christianes folches ind unser bedhero gealtnissi, fon thesemo dage frammordes, so fram so mir Got geuuizci indi mahd furgibit, so haldih tesan minan bruodher, soso man mit rehtu sinan bruodher scal, in thiu, thaz er mig sosoma duo ; indi mit Ludheren in nohheiniu thing ne gegango, zhe minan uuillon imo ce scadhen uuerhen[3]. »

Après le serment de l’un, les troupes de l’autre jurent que si leur seigneur ne tient pas parole, ils ne l’aideront pas contre le frère trahi.

En 843 a lieu le partage suite au traité de Verdun : la Francie est partagée en trois. Louis obtient la Germanie, ou Francie orientale ; Lothaire reçoit la Francie médiane, Charles détient la Francie occidentale.

Le partage de l'empire suite au traité de Verdun (843)

De grands intellectuels apparaissent cependant à la seconde moitié du IX° siècle. C’est le cas de Raban Maur (780-856), surnommé le « précepteur de la Germanie », qui est formé à Aix-la-Chapelle (797), devient professeur et abbé à partir de 822, et ce jusqu’en 842. Soutenant Lothaire, son souverain Louis le Germanique le punit et lui confisque son abbaye. Finalement, il lui pardonne et le nomme archevêque de Mayence.

A la mort de Lothaire en 855, les deux frères restants se partagent son royaume : Charles s’empare de la Lotharingie en 870, puis de l’Italie en 875, puis se fait sacrer et couronner empereur à Rome.


Traité de Meerssen en 870 : Charles et Louis se partagent la Lotharingie.
Après la mort de Louis le Germanique en 876, il cherche à s’emparer de la partie orientale, sans succès.


3) L’affaiblissement du pouvoir royal

Le système de la vassalité montre des limites une fois que la conjoncture devient défavorable : les souverains, manquant de terres et de revenus, ne peuvent se faire de fidèles. A leur mort, les vassaux sont censés confier tous les bénéfices concédés par leurs suzerains à ces derniers. Or l’idée d’hérédité et d’inaliénabilité des bénéfices se propage.
Le royaume franc subit des raids vikings[4] au nord et doit contenir les sarrasins[5] au sud.
La fin du IX° et le X° siècle ne sont pas cependant une période uniquement obscure. Des progrès techniques ont lieu : les marais commencent à être asséchés, on repeuple des espaces autrefois laissés à l’abandon… Le fer à cheval connaît son apparition à cette époque tout autant que la charrue à roue. Les seigneurs font construire les premiers châteaux, les mottes castrales (en terre ou en bois). La féodalité[6] connaît ses prémisses : le roi doit compter sur la noblesse locale pour défendre le territoire contre les invasions, leur conférant ainsi du pouvoir envers les populations.

Le christianisme s’étend en Europe Centrale[7] et en Europe du Nord : les Russes, les Polonais et les Scandinaves se convertissent progressivement.




[1] Règle rédigée par Saint Benoît, de Nursie (VI° siècle).
[2] « Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun, à partir d'aujourd'hui, en tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir son frère, selon l'équité, à condition qu'il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles. »
[3] « Pour l'amour de Dieu et pour le salut du peuple chrétien et notre salut à tous deux, à partir de ce jour dorénavant, autant que Dieu m'en donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère, comme on doit selon l'équité secourir son frère, à condition qu'il en fasse autant pour moi, et je n'entrerai avec Lothaire en aucun arrangement qui, de ma volonté, puisse lui être dommageable. »
[4] Par exemple, Paris est assiégé entre 885 et 886 par les Normands (Norse Men, les Hommes du Nord). Le roi Charles le Gros (881-888) doit verser un tribut de 700 livres et leur accorde le droit de séjourner en Bourgogne.
[5] Leurs armées ont débarqué en Sicile, puis se sont propagées en Italie, pillant des monastères, puis remontent le Rhône.
[6] Du latin médiéval feodum (fief, terres), ce concept renvoie à un système pyramidal au sommet duquel se trouve le roi, puis suivent les grands seigneurs, assistés par des seigneurs plus faibles (les vassaux), et ainsi de suite.
[7] A la seconde moitié du IX° siècle, en Grande-Moravie (Hongrie, Tchéquie et Slovaquie actuelle), les frères Cyrille et Méthode accomplissent une mission évangélique et inventent l’alphabet slavon.